Technostructure et liberté – ou à propos de commentaires en goguette

Commentaires parce qu’il est aujourd’hui bien difficile d’agir sur un monde vu, conceptualisé et mis en forme par une technosphère qui laisse peu de place à une action individuelle ou même collective qui n’irait pas dans le sens de son propre renforcement. Pris en main par la technique, qu’elle soit managériale, économique ou scientifique, nous devenons spectateurs de notre propre devenir. L’allégorie du Terminator n’est pas la machine qui viendrait nous éradiquer mais notre propre devenir machine. Le Terminator, c’est nous.

Tech-noir

Si la recherche du profit a été Capital pour le développement de la technosphère, elle apparaît aujourd’hui comme moins efficace qu’une direction technicienne systémique qui n’en ferait qu’une donnée accessoire parmi d’autres. A ce titre, le développement technique actuel de la Chine est éloquent.

Or, ce qui devrait nous gouverner est l’idée de notre finitude, au moins matérielle. Comme l’écrivait Camus : « il n’y a qu’une liberté, se mettre en règle avec la mort. Après quoi, tout est possible. » Saint-Exupéry pensait que : « la terre nous en apprend plus long sur nous que tous les livres. Parce qu’elle nous résiste. L’homme se découvre quand il se mesure avec l’obstacle. » La machine a éliminé pour nous tous les obstacles naturels. Nous avons fait le tour des horizons pour revenir à notre point de départ. Si l’aventure a ses vertus, l’homme se découvre d’abord en se confrontant à sa propre mort. A sa propre nature en somme.

Tous les peuples qui ont pu se défendre quand les armes de la technique étaient pointées contre eux n’ont pu le faire qu’en utilisant également des techniques au moins aussi efficaces, quelles que soient leur nature. C’est ainsi que la technique s’auto-engendre, que la technique appelle toujours plus de techniques, ce que d’aucuns appellent le progrès. Si le Covid-19 a pu devenir une pandémie si rapidement, c’est bien à cause des techniques économiques qui ont permis la globalisation. Mais, c’est aussi la technique, celle-ci informatique, grâce à la puissance de calcul de l’ordinateur du laboratoire d’Oak Ridge, qui a apporté la première explication des conséquences biologiques du virus dans le corps et ainsi, des moyens d’y remédier. Là aussi, les conséquences de la technique appellent toujours plus de techniques.

C’est ainsi que l’on peut comprendre la technique comme arraisonnement du monde et de nous-mêmes (Gestell).

Interview Heidegger

Si nous l’acceptons alors, nous devons accepter que la liberté n’est qu’une vue de l’esprit et que la technique est le moteur définitif de l’histoire.

Pourtant, nous avons la liberté de nous autodétruire et ainsi de faire disparaître la technique avec nous. Même si nous ne nous autodétruisons pas, l’humanité disparaitra un jour, comme toute espèce vivante et, avec elle, toute sa technique. Au regard de l’univers, cet épisode technique n’aura été qu’un épiphénomène. Nous, créatures de l’Univers, pour être libres devons posséder la capacité de nous détruire, ce jusqu’à ignorer d’où nous procédons. Ce n’est qu’à ce prix, celui « du silence du monde », aussi absurde puisse-t-il paraitre, que nous pouvons jouir de la liberté. Ainsi, comme l’écrivait Camus, la liberté ne peut découler que de notre positionnement sur cette question ultime pour chacun d’entre nous.

En goguette parce que le spectacle de la technique offre son kaléidoscope de formes et de couleurs que nous nous amusons de-ci de-là à commenter mais qu’au fond, tout cela n’est pas très sérieux, car ce qui compte d’abord, c’est de se demander d’où vient la lumière.

Foli

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